@ Mieux prévenir les effets indésirables des médicaments
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Les effets secondaires seraient responsables de 18000décès par an. Cherchant à comprendre, une équipe espagnole a décrypté les bases de 996 molécules
Florence Rosier
Dans les pays occidentaux, la mortalité et la morbidité liées aux effets indésirables des médicaments sont presque équivalentes à celles du cancer ou des maladies cardiovasculaires »,rappellent les auteurs d’une étude espagnole parue le 18 avril dans Chemistry & Biology. En France, les effets secondaires des médicaments seraient responsables d’au moins 18000 décès par an.
«C’est un fléau qui tue plus que les suicides et les accidents de la route réunis», relève le professeur Bernard Bégaud, pharmaco- épidémiologiste à l’Inserm (Bordeaux),coauteur de cette estimation, publiée en 2000.
L’équipe espagnole (Institut de recherche biomédicale, Barcelone) a passé au crible de l’analyse chimique et biologique 1626effets néfastes connus, signalés dans les notices de 996médicaments. Objectif: comprendre les bases moléculaires de ces effets afin de mieux les prévenir. Les auteurs ont extrait de ces médicaments des profils chimiques et biologiques, puisés dans différentes bases de données, pour 1162 effets indésirables. Leur approche a considéré des niveaux de détails de plus en plus fins: petits fragments, pour l’analyse chimique; cibles thérapeutiques et protéines associées, pour l’analyse biologique. Puis ils ont construit des tableaux dits «de contingences», mettant en regard le nombre de médicaments provoquant tel effet, avec le nombre de médicaments présentant tel profil. La démarche a été validée par correction statistique. «Nous fournissons à la communauté scientifique une liste de protéines et de structures chimiques associées à ces effets secondaires, explique Patrick Aloy, un des deux coauteurs. Ce sont autant d’“alertes” utiles aux laboratoires pharmaceutiques ou académiques pour concevoir et développer des médicaments plus sûrs. Il s’agira d’éviter certaines interactions et-ou certaines structures chimiques.» Reste un obstacle de taille : «De nombreux effets secondaires apparaissent liés à la même cible biologique que celle qui déclenche l’effet thérapeutique. Effets désirés et indésirables sont alors inséparables », souligne Miquel Duran, coauteur. Mais est-ce une surprise ? Au total, 446 effets indésirables (38%) ont été expliqués sur la seule base des effets biologiques.
Seulement68(6%)l’ont été sur la seule base des profils chimiques, suggérant, ici, un mode d’action non spécifique. Et 648 (57%) sur la double base des profils chimiques et biologiques. Les chercheurs citent deux exemples. La xanthopsie est une anomalie de la vision qui colore en jaune le champ visuel. «Vincent Van Gogh se serait fait prescrire de la digitaline pour traiter son épilepsie. Or ce médicament, à doses excessives, peut provoquer ce trouble visuel. La dominante jaune de certains de ses tableaux s’expliquerait ainsi…», relate Bernard Begaud. «Dans le cas de la xanthopsie, nous n’avons pas trouvé de protéine cible, mais de petits fragments chimiques communs à 12 médicaments qui favorisent ce défaut visuel», expliquent les auteurs. Second exemple: des mouvements corporels anormaux sont fréquemment associés à six anti-psychotiques. «Les médicaments qui comportent un noyau pipérazine et qui inter-agissent avec les récepteurs à la sérotonine 5-HT2A et/ou les récepteurs à la dopamine DRD2 sont plus à risque de causer cette complication», note l’équipe espagnole. «L’approche est intéressante car elle ne part d’aucun a priori sur les mécanismes en cause. Elle peut ainsi faire émerger de nouvelles hypothèsesqu’ils’agiradetester, estime le professeur Philippe Beaune, chef du pôle biologie à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris.
Mais cette étude ignore une dimension importante: la variabilité interindividuelle de la réponse aux médicaments.» Pour Bernard Bégaud, «on sait depuis longtemps que sur un grand nombre d’individus traités, seuls quelques- uns présenteront un effet indésirable grave. Cette modulation dépend parfois des modes de vie, par exemple la présence d’une carence alimentaire. Mais elle provient souvent de variations génétiques (“polymorphismes”) qui modulent l’action d’un médicament sur ses cibles, son absorption digestive, son métabolisme hépatique ou son élimination rénale.» Comment identifier les sujets plus à risque de subir tel effet grave avec tel médicament ? C’est tout le champ de la pharmaco génomique. Pour Philippe Beaune, expert à l’Inserm, l’étude espagnole pourrait aider à répondre en identifiant de nouvelles protéines- cibles. «On pourra alors rechercher s’il existe une variabilité dans les gènes codant ces protéines», anticipe-t-il. La pharmaco génomique a explosé, dans les années 1970, avec l’identification des polymorphismes d’enzymes, comme les cytochromes P450, intervenant dans le métabolisme de très nombreux médicaments. «La moitié de la réponse variable aux anticoagulants de type anti-vitamine K (AVK) s’explique par le polymorphisme de seulement deux gènes, dont celui d’un cytochrome P450, précise Philippe Beaune, auteur de cette découverte. Le génotypage des patients permettrait de réduire le nombre d’accidents hémorragiques ou thrombotiques liés à des doses inadaptées. » En 2012, l’Agence nationale de sécurité du médicament estimait à 5000 le nombre de décès annuels liés aux AVK. Trois nouveaux anticoagulants oraux, censés être plus sûrs, sont disponibles depuis quelques années, mais des effets secondaires graves émergent. L’Académie nationale de médecine recommande, depuis 2006, «de rechercher les mutations connues des gènes concernés avant la prescription d’un médicament à haut risque, comme les chimiothérapies anticancéreuses et les AVK, rappelle son secrétaire perpétuel, le professeur Raymond Ardaillou. Nous préconisons aussi de constituer des banques d’ADN des sujets recevant un nouveau médicament lors d’essais théraputiques. »
La dominante jaune des tableaux de Vincent Van Gogh (ici, «Le Café de nuit») s’expliquerait par un abus d’absorption de digitaline par le peintre pour traiter son épilepsie.
ANDRÉ HELP/AKG/YALE UNIVERSITY ART GALLERY
«C’est un fléau qui tue plus que les suicides et les accidents de la route réunis» dit le professeur Bernard Bégaud pharmaco-épidémiologiste à l’Inserm
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